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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/503

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— Ah bien ! vous êtes gentil, vous, de m’avoir lâchée comme ça ! Impossible d’avancer avec ma voiture, j’ai dû venir à pied, au travers de ce vilain monde, bousculée, injuriée.

Tout de suite, sachant ce qu’il faisait, il lui présenta Silviane ; et il lui glissa qu’il remplaçait un ami près de cette dernière. Rosemonde, qui brûlait de connaître l’actrice, sans doute excitée par les bruits qui couraient sur elle d’extraordinaires fantaisies amoureuses, se calma, devint charmante.

— J’aurais été si heureuse, madame, de voir ce spectacle avec une artiste de votre mérite, que j’admire tant, sans avoir encore trouvé l’occasion de le lui dire.

— Oh ! mon Dieu ! madame, vous n’avez pas perdu grand’chose, en arrivant trop tard. Nous étions là-haut, à ce balcon, et je n’ai guère entrevu que des hommes qui en bousculaient un autre, voilà tout… Ça ne vaut pas la peine de se déranger.

— Enfin, madame, maintenant que la connaissance est faite, j’espère bien que vous me permettrez d’être votre amie.

— Certes, madame, mon amie, comme je serai moi-même flattée et enchantée d’être la vôtre.

La main dans la main, elles se souriaient, Silviane très grise, mais retrouvant son visage pur de vierge, Rosemonde enfiévrée d’une curiosité nouvelle, voulant goûter à tout, même à cela.

Dès lors, égayé, Dutheil n’eut plus que le désir de ramener Silviane chez elle, pour tâcher d’être payé de son obligeance. Il appela Massot qui arrivait, il lui demanda où il trouverait une station de voitures. Mais déjà Rosemonde offrait la sienne, expliquait que le cocher attendait dans une rue voisine, s’entêtait à vouloir remettre l’actrice, puis le député à leurs portes. Et celui-ci, désespéré, dut consentir.