Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/516

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époux une vie chrétienne d’humilité et d’obéissance, tout entière vécue dans la crainte de Dieu, dont il évoquait la main, la poigne de fer, comme celle du gendarme chargé de maintenir la paix du monde. Personne n’ignorait l’entente diplomatique de l’évêque et du ministre, quelque pacte secret, où tous deux satisfaisaient leur passion autoritaire, leur besoin d’envahissement et de royauté ; et, lorsque l’assistance s’aperçut que Monferrand souriait de son air de bonhomie un peu narquoise, elle eut, elle aussi, des sourires.

— Ah ! murmura Massot qui était resté près de Dutheil, si le vieux Justus Steinberger voyait sa petite-fille épouser le dernier des Quinsac, comme il s’amuserait !

— Mais, mon cher, répondit le député, c’est très bien, ces mariages. La mode y est. Les Juifs, les chrétiens, les bourgeois, les nobles, tous ont raison de s’entendre, pour constituer la nouvelle aristocratie. Il en faut une, autrement nous sommes débordés par le peuple.

Massot n’en ricanait pas moins de la figure que Justus Steinberger aurait faite, en écoutant monseigneur Martha. Et le bruit courait, en effet, que le vieux banquier juif, depuis la conversion de sa fille Ève, qu’il avait cessé de voir, s’intéressait à ce qu’elle disait, à ce qu’elle faisait, d’un air d’ironie attendrie, comme s’il avait eu plus que jamais en elle une arme de vengeance et de défaite, parmi ces chrétiens dont on accusait sa race de rêver la destruction. Si, en la donnant pour femme à Duvillard, il n’avait pas conquis celui-ci, ainsi qu’il l’avait espéré, sans doute s’en consolait-il en constatant l’extraordinaire fortune de son sang, mêlé à celui de ses durs maîtres d’autrefois, qu’il achevait de gâter. N’était-ce pas là cette définitive conquête juive, dont on parlait ?

Un dernier chant triomphal des orgues termina la cérémonie. Les deux familles et les témoins passèrent