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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/534

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III


Depuis l’exécution de Salvat, Guillaume était tombé dans un grand silence. Il semblait préoccupé, absent. Pendant des heures, il travaillait, il fabriquait de cette poudre si dangereuse, à la formule connue de lui seul, des manipulations d’une délicatesse extrême, pour lesquelles il ne voulait l’aide de personne. Puis, il s’en allait, il rentrait brisé par de longues promenades solitaires. Au milieu des siens, il restait très doux, s’efforçait de sourire. Mais il avait toujours l’air de revenir de très loin, dans un sursaut, lorsqu’on lui adressait la parole.

Pierre, alors, s’imagina que son frère avait trop compté sur l’héroïsme de son renoncement et que la perte de Marie lui était intolérable. N’était-ce pas elle qui le hantait, qu’il regrettait, à mesure que devenait plus prochaine la date fixée pour le mariage ? Et il osa, un soir, s’en ouvrir à lui, offrant encore de partir, de disparaître.

Aux premiers mots, Guillaume l’arrêta, dans un cri de tendresse.

— Marie ! ah ! mon petit frère, je l’aime trop, je t’aime trop, pour regretter ce que j’ai fait… Non, non ! vous ne me donnez que du bonheur, vous êtes tout mon courage, toute ma force, maintenant que je vous sais heureux l’un et l’autre… Et je t’assure, tu te trompes, je n’ai absolument rien, c’est le travail sans doute qui m’absorbe un peu. »

Ce soir-là, il voulut réagir, il se montra d’une gaieté charmante. Au dîner, il demanda si le tapissier viendrait bientôt organiser pour le jeune ménage les deux petites