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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/537

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heure, dans le haut silence de Mère-Grand, dans le visage de plus en plus héroïque et affranchi de Guillaume, naître là, et grandir, et déborder sur Paris entier, l’énorme et terrifiante chose.

Un après-midi que Thomas devait se rendre à l’usine Grandidier, on apprit que Toussaint, le vieil ouvrier, venait d’être frappé d’une nouvelle attaque de paralysie. Et Thomas promit de monter en passant chez le pauvre homme, qu’il estimait, pour voir si l’on ne pourrait pas lui être de quelque secours. Pierre voulut l’accompagner. Tous deux partirent, vers quatre heures.

Dans l’unique pièce que les Toussaint habitaient, où ils mangeaient et où ils couchaient, les deux visiteurs trouvèrent le mécanicien assis près de la table, sur une chaise basse, l’air foudroyé. C’était une hémiplégie, qui, en paralysant tout le côté droit, le bras et la jambe, lui avait aussi envahi la face, à ce point que la parole était abolie. Il ne poussait plus que des grognements gutturaux, incompréhensibles. La bouche se tordait à droite, tout le bon visage rond, à la peau tannée, aux yeux clairs, s’était contracté en un masque effrayant d’angoisse. L’homme était terrassé à cinquante ans, la barbe inculte et blanche comme celle d’un vieillard, les membres noueux mangés par le travail, désormais morts à toute besogne. Et les yeux seuls vivaient, faisaient le tour de la chambre, allaient de l’un à l’autre ; tandis que madame Toussaint toujours grasse, même lorsqu’elle ne mangeait pas à sa faim, restée active et de tête solide dans son malheur, s’empressait autour de lui.

— Toussaint, c’est une bonne visite, c’est monsieur Thomas qui vient te voir, avec monsieur l’abbé…

Elle se reprit tranquillement :

— Avec monsieur Pierre, son oncle… Tu vois bien qu’on ne t’abandonne pas encore.

Toussaint voulut parler, mais son effort impuissant