Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/564

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cendez par la rue des Martyrs, voulez-vous me faire une commission ?

— Mais certainement.

— Entrez donc chez ma couturière, prévenez-la que je n’irai essayer ma robe que demain matin.

Il s’agissait de sa robe de noce, une robe de petite soie grise, dont elle plaisantait le grand luxe. Quand elle en parlait, elle-même et tout le monde riaient.

— Entendu, ma chère, dit Guillaume, qui s’égaya lui aussi. La robe de Cendrillon allant à la cour, le brocart et les dentelles des fées, pour qu’elle soit très belle et très heureuse.

Mais les rires se turent, et il sembla, une fois encore, dans le brusque silence, que la mort passait, un grand bruit d’ailes, un grand froid dont le frisson glaça les cœurs de ceux qui restaient là.

— Ah ! cette fois, reprit-il, c’est pour de bon… Au revoir, les enfants !

Et il partit, il ne se retourna même pas. On entendit son pas ferme qui se perdait sur le gravier du petit jardin.

Pierre, qui avait allégué un prétexte, le suivit à deux minutes de distance. D’ailleurs, il n’avait que faire, pour ne pas le perdre, de marcher derrière ses talons ; car il savait où il allait, une certitude intime, absolue, lui disait qu’il le retrouverait à cette porte ouvrant sur les substructions de la basilique, et d’où il l’avait vu sortir l’avant-veille. Aussi ne tâcha-t-il pas de le retrouver parmi la foule des pèlerins, dont le flot se rendait à l’église. Il se contenta de se hâter, gagna l’atelier de Jahan. Et, comme il y arrivait, il aperçut, selon son attente, Guillaume, qui se glissait par la palissade et qui disparaissait. L’écrasement, le désordre d’un tel concours de fidèles le favorisèrent à son tour, lui permirent de suivre son frère, de franchir la porte, sans être vu. Un instant, il