Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/579

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frère, tu as fait plus, tu t’es arraché de la poitrine ton amour et tu m’en as fait le cadeau. Au prix de ton bonheur, tu as voulu le mien, tu m’as sauvé en me donnant une foi… Et quelle félicité que ce soit mon tour, que je puisse, aujourd’hui, te consoler, te sauver, te rendre à la vie !

— Non, la tache de ton sang est là, ineffaçable. Je ne puis plus espérer.

— Si, si ! Espère dans la vie, comme tu me le criais. Espère dans l’amour, espère dans le travail.

Et les deux frères, aux bras l’un de l’autre, continuèrent à causer très bas, baignés de larmes. La bougie, brusquement, s’acheva, s’éteignit, sans qu’ils en eussent conscience. Sous la nuit d’encre, au milieu du silence qui était retombé profond et souverain, leurs larmes de tendresse rédemptrice coulèrent à l’infini. C’était, chez l’un, la joie d’avoir payé sa dette de fraternité ; c’était, chez l’autre, chez ce haut esprit, ce cœur d’enfant très bon, l’émoi de s’être senti au bord du crime, dans sa chimère, son amour de la justice et de l’humanité. Et il y avait encore d’autres choses, au fond de ces pleurs qui les lavaient et les purifiaient, des protestations contre toutes les souffrances, des vœux pour que le malheur du monde fût enfin soulagé.

Puis, lorsqu’il eut repoussé du pied la dalle sur le trou, Pierre, à tâtons, emmena Guillaume comme un enfant.

Dans le grand atelier, devant le vitrage, Mère-Grand, impassible, n’avait pas quitté son ouvrage de couture. Par moments, en attendant quatre heures, elle levait les yeux sur l’horloge, pendue au mur, à sa gauche, puis elle les reportait au-dehors, vers la basilique, dont elle apercevait la masse inachevée, parmi la carcasse géante des échafaudages. Sa main lente tirait l’aiguille à longs points réguliers, elle était très pâle, muette, d’une sérénité