Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/594

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vieille humanité souffrante, il n’attendait plus que l’effroyable catastrophe, l’incendie, le massacre, dont le fracas emporterait le monde coupable et condamné. Sa soutane l’étouffait du mensonge hautain où il s’était réfugié pour la garder à ses épaules, cette attitude du prêtre incroyant, qui continue, honnêtement, chastement, à veiller sur la croyance des autres. Le problème d’une religion nouvelle, d’une nouvelle espérance, nécessaire à la paix des démocraties de demain, le torturait, sans qu’il pût trouver la solution possible, entre les certitudes de la science et le besoin du divin dont semble brûler l’humanité. Et, si le christianisme croulait avec l’idée de charité, il ne restait donc que la justice, le cri qui sortait de toutes les poitrines, ce combat de la justice contre la charité, où allaient se débattre son cœur et sa raison, dans ce grand Paris, si voilé de cendre, si plein d’un terrible inconnu. C’était avec Paris que se posait la troisième et décisive expérience, la vérité enfin éclatante comme le soleil, la santé conquise, la force et la joie de vivre.

Mais les réflexions de Pierre furent interrompues, il dut aller chercher un outil que Thomas lui demandait, et il entendit Bache qui disait :

— Le cabinet a donné sa démission ce matin. Vignon en avait assez, il se réserve.

— Il a duré plus d’un an, fit remarquer Morin. C’est déjà très beau.

Après l’attentat de Victor Mathis, condamné, exécuté en moins de trois semaines, Monferrand était tombé du pouvoir. À quoi bon avoir à la tête du cabinet un homme fort, si les bombes continuaient à terrifier le pays ? Le pis était qu’il avait mécontenté la Chambre par son appétit d’ogre, rognant trop la part des autres. Et Vignon, cette fois, avait recueilli sa succession, malgré tout un programme de réformes, devant lequel on tremblait depuis longtemps. Mais, bien que son honnêteté fût parfaite, il