Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/596

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qui avait pourri le Parlement, qui faisait de Duvillard, le bourgeois triomphant, un pervertisseur public, le chancre rongeur du monde de la finance. Puis, par une juste conséquence, c’était le foyer de Duvillard, qu’il infectait lui-même, l’affreuse aventure d’Ève disputant Gérard à sa fille Camille, et celle-ci le volant à sa mère, et le fils Hyacinthe donnant sa maîtresse Rosemonde, une démente, à cette Silviane, la catin notoire, en compagnie de laquelle son père s’affichait publiquement. Puis, c’était la vieille aristocratie mourante, avec les pâles figures de madame de Quinsac et du marquis de Morigny ; c’était le vieil esprit militaire dont le général de Bozonnet menait les funérailles ; c’était la magistrature asservie au pouvoir, un Amadieu faisant sa carrière à coups de procès retentissants, un Lehmann rédigeant son réquisitoire dans le cabinet du ministre dont il défendait la politique ; c’était enfin la presse cupide et mensongère, vivant du scandale, l’éternel flot de délations et d’immondices que roulait Sanier, la gaie impudence de Massot, sans scrupule, sans conscience, qui attaquait tout, défendait tout, par métier et sur commande. Et, de même que des insectes, qui en rencontrent un autre, la patte cassée, mourant, l’achèvent et s’en nourrissent, de même tout ce pullulement d’appétits, d’intérêts, de passions, s’étaient jetés sur un misérable fou, tombé par terre, ce triste Salvat, dont le crime imbécile les avait tous rassemblés, heurtés, dans leur empressement glouton à tirer parti de sa maigre carcasse de meurt-de-faim. Et tout cela bouillait dans la cuve colossale de Paris, les désirs, les violences, les volontés déchaînées, le mélange innommable des ferments les plus âcres, d’où sortirait à grands flots purs le vin de l’avenir.

Alors, Pierre en eut conscience, de ce prodigieux travail qui s’accomplissait au fond de la cuve, sous les impuretés et sous les déchets. Son frère venait de le dire,