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Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/605

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notre père, dont la querelle, le douloureux malentendu continuait au-delà de la tombe ; et c’est fait, les voilà enfin qui dorment en paix, dans ton être pacifié.

Ces paroles bouleversèrent Pierre d’émotion. Une joie enflamma son visage, désormais si clair, si énergique. Et il avait bien toujours son front en forme de tour, l’inexpugnable forteresse de la raison qu’il tenait de son père, ainsi que le menton tendre, la bouche et les yeux de bonté, que lui avait donnés sa mère ; mais l’ensemble de la physionomie s’était enfin mêlé, fondu en une harmonie heureuse, d’une sérénité forte. Ses deux premières expériences avortées, c’étaient en lui des crises de la mère, cette tendresse pleurante, éperdue de ne pouvoir se rassasier ; et la troisième ne venait d’aboutir au bonheur, que parce qu’il avait contenté dans la femme, dans l’enfant, dans la vie laborieuse et féconde, cette ardente faim d’aimer, tout en obéissant à la souveraineté de la raison, au père qui parlait si haut en lui. La raison restait la reine. S’il n’avait jamais souffert que des combats qu’elle livrait à son cœur, il était tout l’homme, en lutte sans cesse avec son intelligence et avec sa passion. Et quelle paix de les avoir réconciliées, de les satisfaire ensemble, de se sentir complet, normal et puissant, tel que le grand chêne qui pousse en liberté et dont les branches à l’infini dominent la forêt !

— Tu as fait là, continua tendrement Guillaume, une belle et bonne œuvre, pour toi, pour nous tous, pour les chers parents, dont les ombres apaisées et réunies sont maintenant si tranquilles, dans la petite maison de notre enfance. J’y songe souvent, à notre chère maison de Neuilly, que la vieille Sophie nous garde, et je m’imagine que, dans l’ombre du grand cabinet de travail, les morts bien-aimés se reposent délicieusement et nous attendent. Quelle paix pour eux que cette petite maison déserte ! Et, si je vous ai voulus ici par égoïsme, désireux de mettre