Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/7

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à donner ainsi, sans bien savoir à qui je donne. Il est vrai que, pour avoir ces trois francs, j’ai dû vendre quelque chose… Je vous en supplie, mon cher enfant, rendez-moi ce service.

Le cœur serré, Pierre considérait le bon prêtre tout blanc, avec sa grosse bouche de bonté, ses yeux clairs d’enfant, dans sa face ronde et souriante. Et l’histoire de cet amant de la pauvreté lui revenait en un flot d’amertume, la disgrâce où il était tombé, pour sa candeur sublime de saint homme charitable. Son petit rez-de-chaussée de la rue de Charonne, dont il faisait un asile, où il recueillait toutes les misères de la rue, avait fini par devenir une cause de scandale. On y abusait de sa naïveté, de son innocence, et des abominations se passaient chez lui, sans qu’il les soupçonnât. Des filles y allaient, lorsqu’elles n’avaient pas trouvé d’hommes pour les emmener. D’infâmes rendez-vous s’y donnaient, toute une promiscuité monstrueuse. Enfin, une belle nuit, la police y avait fait une descente, pour y arrêter une fillette de treize ans, accusée d’infanticide. Très émue, l’autorité diocésaine avait forcé l’abbé Rose à fermer son asile, et l’avait déplacé de l’église Sainte-Marguerite, en l’envoyant à Saint-Pierre de Montmartre, où il avait retrouvé sa place de vicaire. Ce n’était pas une disgrâce, mais un simple éloignement. On l’avait grondé, on le surveillait, comme il le disait lui-même, et il était très honteux, très malheureux de ne pouvoir plus donner qu’en se cachant, tel qu’un prodigue écervelé qui rougit de ses fautes.

Pierre prit les trois francs.

— Je vous promets, mon ami, de faire votre commission, ah ! de tout mon cœur.

— Allez-y après votre messe, n’est-ce pas ? Il s’appelle Laveuve, il habite la rue des Saules, une maison avec une cour, avant d’arriver à la rue Marcadet. Vous trouverez bien… Et, si vous étiez gentil, vous viendriez me rendre