Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/73

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je suis certain que vous m’accorderez ce que je demande.

Et, bien que Fonsègue, en s’éloignant, lui affirmât qu’il ne pouvait changer d’avis, il s’entêta, il se rassit sur la banquette, quitte à y rester jusqu’au soir. La salle des Pas perdus s’était presque complètement vidée, et elle apparaissait plus morne et plus froide, avec son Laocoon et sa Minerve, ses murs nus, d’une banalité de gare, où la bousculade du siècle passait, sans échauffer le haut plafond. Jamais clarté plus blême, plus indifférente, n’était entrée par les grandes portes-fenêtres, derrière lesquelles on apercevait le petit jardin endormi, avec ses maigres gazons d’hiver. Et pas un bruit n’arrivait des tempêtes de la séance voisine, il ne tombait du lourd monument qu’un silence de mort, dans un sourd frisson de détresse, venu de très loin sans doute, du pays entier.

C’était cela, maintenant, qui hantait la songerie de Pierre. Toute la plaie ancienne, envenimée, s’étalait avec son poison, dans sa virulence. La lente pourriture parlementaire avait grandi, s’attaquait au corps social. Certes, au-dessus des basses intrigues, de la ruée des ambitions personnelles, il y avait bien la haute lutte supérieure des principes, l’histoire en marche, déblayant le passé, tâchant de faire dans l’avenir plus de vérité, plus de justice et de bonheur. Mais, en pratique, à ne voir que l’affreuse cuisine quotidienne, quel déchaînement d’appétits égoïstes, quel unique besoin d’étrangler le voisin et de triompher seul ! On ne trouvait là, entre les quelques groupes, qu’un incessant combat pour le pouvoir et pour les satisfactions qu’il donne. Gauche, droite, catholiques, républicains, socialistes, les vingt nuances des partis, n’étaient que les étiquettes qui classaient la même soif brûlante de gouverner, de dominer. Toutes les questions se rapetissaient à la seule question de savoir qui, de celui-ci, de celui-là ou de cet autre, aurait en sa