Page:Zola - Les Trois Villes - Paris, 1898.djvu/85

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des voix chuchotaient. Puis, lorsqu’il eut reconnu les personnes qui étaient là, il fut dépaysé davantage, en les trouvant si lointaines et si tristes, si à l’écart du monde d’où il venait, où il retournait. Et, la comtesse l’ayant fait asseoir près d’elle, devant la cheminée, ce fut à voix basse qu’il lui conta l’histoire lamentable de Laveuve, en lui demandant son appui pour le faire entrer à l’Asile des Invalides du travail.

— Ah ! oui, cette Œuvre dont mon fils a désiré que je fusse… Mais, monsieur l’abbé, je n’ai jamais mis les pieds aux séances du comité. Comment voulez-vous que j’intervienne, n’ayant à coup sûr aucune influence ?

De nouveau, les figures unies de Gérard et d’Ève venaient de se dresser devant elle, car la rencontre première des deux amants avait eu lieu à l’Asile. Et déjà elle faiblissait, dans sa maternité toujours souffrante, bien qu’elle eût le regret d’avoir donné son nom, pour une de ces entreprises charitables à grand tapage, dont elle réprouvait les abus intéressés.

— Madame, insista Pierre, il s’agit d’un pauvre vieillard qui meurt de faim. Ayez pitié, je vous en supplie.

Bien que le prêtre eût parlé bas, le général s’approcha.

— C’est encore pour votre vieux révolutionnaire que vous courez. Vous n’avez donc pas réussi près de l’administrateur ?… Dame ! il est difficile de s’attendrir sur des gaillards, qui, s’ils étaient les maîtres, nous balayeraient tous, comme ils disent.

M. de Larombardière approuva d’un hochement du menton. Depuis quelque temps, il était hanté par le péril anarchiste.

Et Pierre recommença son plaidoyer, navré et frémissant. Il dit l’affreuse misère, les logis sans nourriture, les femmes et les enfants grelottant de froid, les pères battant le boueux Paris d’hiver, en quête d’un morceau de pain. Ce qu’il demandait, ce n’était qu’un mot sur une