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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/147

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— Je vous demande pardon de vous avoir coupé la parole, reprit Orlando. Mais il me semble que nous ne pouvons causer utilement de votre livre, tant que vous n’aurez pas vu et étudié Rome de près. Vous n’êtes ici que depuis hier, n’est-ce pas ? Courez la ville, regardez, questionnez, et je crois que beaucoup de vos idées changeront. J’attends surtout votre impression sur le Vatican, puisque vous êtes venu uniquement pour voir le pape et défendre votre œuvre contre l’Index. Pourquoi discuterions-nous aujourd’hui, si les faits eux-mêmes doivent vous amener à d’autres idées, mieux que je n’y réussirais par les plus beaux discours du monde ?… C’est entendu, vous reviendrez, et nous saurons de quoi nous parlerons, nous nous entendrons peut-être.

— Mais certainement, dit Pierre. Je n’étais venu aujourd’hui que pour vous témoigner ma gratitude d’avoir bien voulu lire mon livre avec intérêt et que pour saluer en vous une des gloires de l’Italie.

Orlando n’écoutait pas, absorbé, les yeux toujours fixés sur Rome. Il ne voulait plus qu’on en parlât, et malgré lui, tout à son inquiétude secrète, il continua d’une voix basse, comme dans une involontaire confession.

— Sans doute, nous sommes allés beaucoup trop vite. Il y a eu des dépenses d’une utilité indispensable, les routes, les ports, les chemins de fer. Et il a bien fallu armer le pays aussi, je n’ai pas désapprouvé les grosses charges militaires… Mais ensuite, cet écrasant budget de la guerre, d’une guerre qui n’est pas venue, dont l’attente nous a ruinés ! Ah ! j’ai toujours été l’ami de la France, je ne lui reproche que de n’avoir pas compris la situation qui nous était faite, l’excuse vitale que nous avions en nous alliant avec l’Allemagne… Et le milliard englouti à Rome ! C’est ici que la folie a soufflé, nous avons péché par enthousiasme et par orgueil. Dans mes songeries de vieux bonhomme solitaire, un des