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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/149

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hautaine, qui semblait être une protestation contre la richesse monumentale de tout le quartier. C’était donc là ce qu’on avait fait de la conquête ! Et il était foudroyé maintenant, incapable de donner de nouveau son sang et son âme !

— Oui, oui ! lança-t-il dans un dernier cri, on donnait tout, son cœur et sa tête, son existence entière, tant qu’il s’est agi de faire la patrie une et indépendante. Mais, aujourd’hui que la patrie est faite, allez donc vous enthousiasmer pour réorganiser ses finances ! Ce n’est pas un idéal, cela ! Et c’est pourquoi, pendant que les vieux meurent, pas un homme nouveau ne se lève parmi les jeunes.

Brusquement, il s’arrêta, un peu gêné, souriant de sa fièvre.

— Excusez-moi, me voilà reparti, je suis incorrigible… C’est entendu, laissons ce sujet, et vous reviendrez, nous causerons, quand vous aurez tout vu.

Dès lors, il se montra charmant, et Pierre comprit son regret d’avoir trop parlé, à la bonhomie séductrice, à l’affection envahissante dont il l’enveloppa. Il le suppliait de rester longtemps à Rome, de ne pas la juger trop vite, d’être convaincu que l’Italie, au fond, aimait toujours la France ; et il voulait aussi qu’on aimât l’Italie, il éprouvait une anxiété véritable, à l’idée qu’on ne l’aimait peut-être plus. Ainsi que la veille, au palais Boccanera, le prêtre eut conscience là d’une sorte de pression exercée sur lui pour le forcer à l’admiration et à la tendresse. L’Italie, comme une femme qui ne se sentait pas en beauté, doutant d’elle et susceptible, s’inquiétait de l’opinion des visiteurs, s’efforçait de garder malgré tout leur amour.

Mais, lorsque Orlando sut que Pierre était descendu au palais Boccanera, il se passionna de nouveau, et il eut un geste de contrariété vive, en entendant frapper à la porte, juste à ce moment même. Tout en criant d’entrer, il le retint.