Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/161

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aurait voulu punir tragiquement de ce qu’il ne l’avait pas eue.

Pierre, n’étant pas au courant, ne pouvait comprendre. Comme il sentait une gêne, désireux de se donner une contenance, il avait pris sur la table, parmi les journaux, un gros volume, étonné de rencontrer là un ouvrage français classique, un de ces manuels pour le baccalauréat, où se trouve un abrégé des connaissances exigées dans les programmes. Ce n’était qu’un livre humble et pratique d’instruction première, mais il traitait forcément de toutes les sciences mathématiques, de toutes les sciences physiques, chimiques et naturelles, de sorte qu’il résumait en gros les conquêtes du siècle, l’état actuel de l’intelligence humaine.

— Ah ! s’écria Orlando, heureux de la diversion, vous regardez le livre de mon vieil ami Théophile Morin. Vous savez qu’il était un des Mille de Marsala et qu’il a conquis la Sicile et Naples avec nous. Un héros !… Et, depuis plus de trente ans, il est retourné en France, à sa chaire de simple professeur, qui ne l’a guère enrichi. Aussi a-t-il publié ce livre, dont la vente, paraît-il, marche si bien, qu’il a eu l’idée d’en tirer un nouveau petit bénéfice avec des traductions, entre autres avec une traduction italienne… Nous sommes restés des frères, il a songé à utiliser mon influence, qu’il croit décisive. Mais il se trompe, hélas ! je crains bien de ne pas réussir à faire adopter l’ouvrage.

Prada, redevenu très correct et charmant, eut un léger haussement d’épaules, plein du scepticisme de sa génération, uniquement désireuse de maintenir les choses existantes, pour en tirer le plus de profit possible.

— À quoi bon ? murmura-t-il. Trop de livres ! trop de livres !

— Non, non ! reprit passionnément le vieillard, il n’y a jamais trop de livres ! Il en faut, et encore, et toujours ! C’est par le livre, et non par l’épée, que l’humanité vaincra