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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/167

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— Vous allez voir, quand nous repasserons devant le palais, reprit Dario. Il sera encore là, et je vous montrerai quelque chose.

Et il parla gaiement des jeunes filles, ces petites princesses, ces petites duchesses, élevées si discrètement au Sacré-Cœur, d’ailleurs si ignorantes pour la plupart, achevant leur éducation ensuite dans les jupons de leurs mères, ne faisant avec elles que le tour obligatoire du Corso, vivant les interminables jours cloîtrées, emprisonnées au fond des palais sombres. Mais quelles tempêtes dans ces âmes muettes, où personne n’était descendu ! quelle lente poussée de volonté parfois, sous cette obéissance passive, sous cette apparente inconscience de ce qui les entourait ! Combien entendaient obstinément faire leur vie elles-mêmes, choisir l’homme qui leur plairait, l’avoir malgré le monde entier ! Et c’était l’amant cherché et élu, parmi le flot des jeunes hommes, au Corso ; c’était l’amant pêché des yeux pendant la promenade, les yeux candides qui parlaient, qui suffisaient à l’aveu, au don total, sans même un souffle des lèvres, chastement closes ; et c’étaient enfin les billets doux remis furtivement à l’église, la femme de chambre gagnée, facilitant les rencontres, d’abord si innocentes. Au bout, il y avait souvent un mariage.

Celia, elle, avait voulu Attilio, dès que leurs regards s’étaient rencontrés, le jour de mortel ennui, où, pour la première fois, elle l’avait aperçu, d’une fenêtre du palais Buongiovanni. Il venait de lever la tête, elle l’avait pris à jamais, en se donnant elle-même, de ses grands yeux purs, posés sur les siens. Elle n’était qu’une amoureuse, rien de plus. Il lui plaisait, elle le voulait, celui-ci, pas un autre. Elle l’aurait attendu vingt ans, mais elle comptait bien le conquérir tout de suite par la tranquille obstination de sa volonté. On racontait les terribles fureurs du prince son père, qui se brisaient contre son silence respectueux et têtu. Le prince, de sang mêlé, fils d’une