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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/169

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s’engagea sur les rampes du Pincio, un chemin en lacet, magnifique, orné de bas-reliefs, de statues, de fontaines, toute une sorte d’apothéose de marbre, un ressouvenir de la Rome antique, qui se dressait parmi les verdures. Mais, en haut, Pierre trouva le jardin petit, à peine un grand square, un carré aux quatre allées nécessaires pour que les équipages pussent tourner indéfiniment. Les images des hommes illustres de l’ancienne Italie et de la nouvelle bordent ces allées d’une file ininterrompue de bustes. Il admira surtout les arbres, les essences les plus variées et les plus rares, choisis et entretenus avec un grand soin, presque tous à feuillage persistant, ce qui perpétuait là, l’hiver comme l’été, d’admirables ombrages, nuancés de tous les verts imaginables. Et la voiture s’était mise à tourner, par les belles allées fraîches, à la suite des autres voitures, un flot continu, jamais lassé.

Pierre remarqua une jeune dame seule, dans une victoria bleu sombre, très correctement menée. Elle était fort jolie, petite, châtaine, avec un teint mat, de grands yeux doux, l’air modeste, d’une simplicité séduisante. Sévèrement habillée de soie feuille morte, elle avait un grand chapeau un peu extravagant. Et, comme Dario la dévisageait, le prêtre lui demanda son nom, ce qui fit sourire le jeune prince. Oh ! personne, la Tonietta, une des rares demi-mondaines dont Rome s’occupait. Puis, librement, avec la belle franchise de la race sur les choses de l’amour, il continua, donna des détails : une fille dont l’origine restait obscure, les uns la faisant partir de très bas, d’un cabaretier de Tivoli, les autres la disant née à Naples, d’un banquier ; mais, en tout cas, une fille fort intelligente, qui s’était fait une éducation, qui recevait admirablement dans son petit palais de la rue des Mille, un cadeau du vieux marquis Manfredi, mort à présent. Elle ne s’affichait pas, n’avait guère qu’un amant à la fois, et les princesses, les duchesses qui s’inquiétaient