Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/193

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sembla rentrer dans la poussière du sol, disparut sous la houle de terre et de végétation que l’impassible Nature avait roulée sur elle. Au brûlant soleil, parmi les fleurs sauvages, il n’y avait plus là que de grosses mouches bourdonnantes, tandis que des troupeaux de chèvres erraient en liberté, au travers de la salle du trône de Domitien et du sanctuaire effondré d’Apollon.

Pierre sentit un grand frisson qui le traversait. Tant de force et d’orgueil, tant de grandeur ! et une ruine si rapide, tout un monde balayé, à jamais ! Quel souffle nouveau, barbare et vengeur, avait dû souffler sur cette éclatante civilisation pour l’éteindre ainsi, et dans quelle nuit réparatrice, dans quelle ignorance d’enfant sauvage, elle avait dû tomber pour s’anéantir d’un coup, avec son faste et ses chefs-d’œuvre ! Il se demandait comment des palais entiers, peuplés encore de leurs sculptures admirables, de leurs colonnes et de leurs statues, avaient pu s’enliser peu à peu, s’enfouir, sans que personne s’avisât de les protéger. Ces chefs-d’œuvre, qu’on devait plus tard déterrer, dans un cri d’universelle admiration, ce n’était pas une catastrophe qui les avait engloutis, ils s’étaient comme noyés, pris aux jambes, puis à la taille, puis au cou, jusqu’au jour où la tête avait sombré, sous le flot montant ; et comment expliquer que des générations avaient assisté à cela, insoucieuses, ne songeant même pas à tendre la main ? Il semble qu’un rideau noir soit brusquement tiré sur le monde, et c’est une autre humanité qui recommence, avec un cerveau neuf qu’il faut repétrir et meubler. Rome s’était vidée, on ne réparait plus ce que le fer et la flamme avaient entamé, une extraordinaire incurie laissait crouler les édifices trop vastes, devenus inutiles ; sans compter que la religion nouvelle traquait l’ancienne, lui volait ses temples, renversait ses dieux. Enfin, des remblais achevèrent le désastre, car le sol montait toujours, les alluvions du jeune monde chrétien recouvraient et nivelaient l’antique société païenne.