Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/338

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défoncée, avec son nourrisson en travers des genoux ; et, à quelques pas, la Pierina, debout devant Dario, le regardait finir sa cigarette, d’un air d’enchantement ; tandis que Tito, rasé dans l’herbe, comme une bête à l’affût, ne les quittait toujours pas des yeux.

— Ah ! madame, reprit la mère de sa voix résignée et dolente, vous avez vu, ce n’est guère habitable. La seule bonne chose, c’est qu’on a vraiment de la place. Autrement, il y a des courants d’air, à prendre la mort matin et soir. Et puis, j’ai continuellement peur pour les enfants, à cause des trous.

Elle conta l’histoire de la femme, qui, se trompant un soir, croyant sortir sur le palier, avait pris une fenêtre pour la porte, et s’était tuée net, en culbutant dans la rue. Une petite fille, aussi, s’était cassé les deux bras, en tombant du haut d’un escalier qui n’avait pas de rampe. D’ailleurs, on serait resté mort là-dedans, sans que personne le sût et s’avisât d’aller vous ramasser. La veille, on avait trouvé, au fond d’une pièce perdue, couché sur le plâtre, le corps d’un vieil homme, que la faim devait y avoir étranglé depuis près d’une semaine ; et il y serait resté sûrement, si l’odeur infecte n’avait averti les voisins de sa présence.

— Encore si l’on avait à manger ! continua Giacinta. Et quand on nourrit et qu’on ne mange pas, on n’a pas de lait. Ce petit-là, ce qu’il me suce le sang ! Il se fâche, il en veut, et moi, n’est-ce pas ? je me mets à pleurer, car ce n’est pas ma faute s’il n’y a rien.

Des larmes, en effet, étaient montées à ses pauvres yeux pâlis. Mais elle fut prise d’une brusque colère, en remarquant que Tito n’avait pas bougé de son herbe, vautré comme une bête au soleil, ce qu’elle jugeait mal poli pour ce beau monde, qui allait sûrement lui laisser une aumône.

— Eh ! Tito, fainéant ! est-ce que tu ne pourrais pas te mettre debout, quand on vient te voir ?