escaliers raides, disloqués, verdis qui montaient de la grève, des terrasses qui se superposaient, des étages qui alignaient leurs petites fenêtres irrégulières, percées au hasard, des maisons qui se dressaient par-dessus d’autres maisons ; et cela pêle-mêle, avec une extravagante fantaisie de balcons, de galeries de bois, de ponts jetés au travers des cours, de bouquets d’arbres qu’on aurait dits poussés sur les toits, de mansardes ajoutées, plantées au milieu des tuiles roses. Un égout, en face, tombait d’une gorge de pierre, usée et souillée, à gros bruit. Partout où la berge apparaissait, dans le retrait des maisons, elle était couverte d’une végétation folle, des herbes, des arbustes, des manteaux de lierre traînant à plis royaux. Et la misère, la saleté disparaissaient sous la gloire du soleil, les vieilles façades tassées, déjetées, devenaient en or, des lessives entières qui séchaient aux fenêtres les pavoisaient de la pourpre des jupons rouges et de la neige aveuglante des linges. Tandis que, plus haut encore, au-dessus du quartier, le Janicule s’élevait dans l’éblouissement de l’astre, avec le fin profil de Saint-Onuphre, parmi les cyprès et les pins.
Souvent, Pierre venait s’accouder sur le parapet de l’énorme mur du quai, et il restait là longtemps, le cœur gonflé, plein de la tristesse des siècles morts, à regarder couler le Tibre. Rien n’aurait pu dire la grande lassitude de ces vieilles eaux, leur morne lenteur, au fond de cette tranchée babylonienne où elles étaient enfermées, des murailles démesurées de prison, droites, lisses, nues, toutes blafardes encore, dans leur laideur neuve. Au soleil, le fleuve jaune se dorait, se moirait de vert et de bleu, sous le petit frisson de son courant. Mais, dès qu’il était gagné par l’ombre, il apparaissait opaque, couleur de boue, d’une vieillesse si épaisse et si lourde, que les maisons d’en face ne s’y reflétaient même plus. Et quel abandon désolé, quel fleuve de silence et de solitude ! Si, après les pluies d’hiver, il roulait furieusement parfois