Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/391

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

crayeuse se détachait sur les fonds roux de l’immense plaine onduleuse, que bornaient seules les collines bleues de l’horizon, et quelques arbres sobres, et la ruine d’un portique, ouvert sur le vide, en haut de la berge, et une file oblique de moutons pâles qui descendaient boire, tandis que le berger, appuyé d’une épaule au tronc d’un chêne vert, regardait. Beauté spéciale, large et rousse, faite de rien, simplifiée jusqu’à la ligne droite et plate, tout anoblie des grands souvenirs : toujours les légions romaines en marche par les voies pavées, au travers de la Campagne nue ; et toujours le long sommeil du moyen âge, puis le réveil de l’antique nature dans la foi catholique, ce qui, une seconde fois, avait fait de Rome la maîtresse du monde.

Un jour que Pierre était allé visiter le Campo Verano, le grand cimetière de Rome, il trouva, le soir, près du lit de Dario, Celia en compagnie de Benedetta.

— Comment ! monsieur l’abbé, s’écria la petite princesse, ça vous amuse d’aller voir les morts ?

— Ah ! ces Français ! reprit Dario, que l’idée seule d’un cimetière désobligeait, ces Français ! ils se gâtent la vie à plaisir, avec leur amour des spectacles tristes.

— Mais, dit Pierre doucement, on n’échappe pas à la réalité de la mort. Le mieux est de la regarder en face.

Du coup, le prince se fâcha.

— La réalité, la réalité ! à quoi bon ? Quand la réalité n’est pas belle, moi je ne la regarde pas, je m’efforce de n’y penser jamais.

De son air tranquille et souriant, le prêtre n’en continua pas moins à dire ce qui l’avait surpris, la bonne tenue du cimetière, l’air de fête que le clair soleil d’automne y mettait, tout un luxe extraordinaire de marbre, des statues de marbre prodiguées sur les tombeaux, des chapelles de marbre, des monuments de marbre. Sûrement l’atavisme antique agissait, les somptueux mausolées de la voie Appienne repoussaient là, une pompe, un orgueil