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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/399

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noir de l’Hôpital et les misérables maisons d’en face, la seconde toute vivante du continuel flot populaire, tout égayée par les vitrines des bijoutiers, aux grosses chaînes d’or, et par les étalages des marchands d’étoffe, où flottent des lés immenses, bleus, jaunes, verts, rouges, d’un ton éclatant. Et le quartier ouvrier qu’il venait de parcourir, puis ce quartier du petit commerce qu’il traversait maintenant, évoquèrent en lui le quartier d’affreuse misère qu’il avait visité déjà, la masse pitoyable des travailleurs déchus, réduits par le chômage à la mendicité, campant parmi les constructions superbes et abandonnées des Prés du Château. Ah ! le pauvre, le triste peuple resté enfant, maintenu dans une ignorance, dans une crédulité de sauvages par des siècles de théocratie, si accoutumé à la nuit de son intelligence, aux souffrances de son corps, qu’il reste quand même aujourd’hui en dehors du réveil social, simplement heureux si on le laisse jouir à l’aise de son orgueil, de sa paresse et de son soleil ! Il semblait aveugle et sourd en sa déchéance, il continuait sa vie stagnante d’autrefois, au milieu des bouleversements de La Rome Nouvelle, sans en éprouver autre chose que les ennuis, les vieux quartiers où il logeait abattus, les habitudes changées, les vivres plus chers, comme si la clarté, la propreté, la santé le gênaient, quand il fallait les payer de toute une crise ouvrière et financière. Cependant, qu’on l’eût voulu ou non, c’était au fond pour lui uniquement qu’on nettoyait Rome, qu’on la rebâtissait, dans l’idée d’en faire une grande capitale moderne ; car la démocratie est au bout de ces transformations actuelles, c’est le peuple qui héritera demain des cités d’où l’on chasse la saleté et la maladie, où la loi du travail finira par s’organiser, tuant la misère. Et voilà pourquoi, si l’on maudit les ruines époussetées, tenues bourgeoisement, le Colisée débarrassé de ses lierres et de ses arbustes, de sa flore sauvage que les jeunes Anglaises mettaient en herbier, si l’on se fâche devant les affreux murs de forteresse qui