Aller au contenu

Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/417

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Un instant, il s’en approcha, regarda le fauteuil défoncé par l’usage, le paravent qui l’abritait frileusement, le vieil encrier éclaboussé d’encre. Puis, il commença à s’impatienter, dans l’air lourd et mort qui l’oppressait, dans le grand silence inquiétant que troublaient seuls les roulements étouffés de la rue.

Mais, comme il se décidait à marcher doucement de long en large, Pierre tomba sur une carte, accrochée au mur, dont la vue l’occupa, l’emplit des pensées les plus vastes, au point de lui faire tout oublier. Cette carte, en couleurs, était celle du monde catholique, la terre entière, la mappemonde déroulée, où les diverses teintes indiquaient les territoires, selon qu’ils appartenaient au catholicisme victorieux, maître absolu, ou bien au catholicisme toujours en lutte contre les infidèles, et ces derniers pays classés selon l’organisation en vicariats ou en préfectures. N’était-ce pas, graphiquement, tout l’effort séculaire du catholicisme, la domination universelle qu’il a voulue dès la première heure, qu’il n’a cessé de vouloir et de poursuivre à travers les temps ? Dieu a donné le monde à son Église, mais il faut bien qu’elle en prenne possession, puisque l’erreur s’entête à régner. De là, l’éternelle bataille, les peuples disputés de nos jours encore aux religions ennemies, comme à l’époque où les Apôtres quittaient la Judée pour répandre l’Évangile. Pendant le Moyen Âge, la grande besogne fut d’organiser l’Europe conquise, sans qu’on pût même tenter la réconciliation avec les Églises dissidentes d’Orient. Puis, la Réforme éclata, ce fut le schisme ajouté au schisme, la moitié protestante de l’Europe et tout l’Orient orthodoxe à reconquérir. Mais, avec la découverte du Nouveau Monde, l’ardeur guerrière s’était réveillée, Rome ambitionnait d’avoir à elle cette seconde face de la terre, des missions furent créées, allèrent soumettre à Dieu ces peuples, ignorés la veille, et qu’il avait donnés avec les autres. Et les grandes divisions actuelles de la chrétienté