Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/467

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de s’être senti peu à peu prendre tout entier par cette machine aux cent rouages, qu’il s’était demandé avec terreur ce qu’il ferait le lendemain, n’ayant plus rien à faire, qu’à devenir fou.

Il rencontra justement don Vigilio dans un couloir, et il voulut de nouveau le consulter, obtenir de lui un bon conseil. Mais celui-ci le fit taire d’un geste inquiet, sans qu’il sût pourquoi. Il avait ses yeux de terreur. Puis, dans un souffle, à l’oreille :

— Avez-vous vu monsignore Nani ? Non !… Eh bien ! allez le voir, allez le voir. Je vous répète que vous n’avez pas d’autre chose à faire.

Il céda. Pourquoi résister, en effet ? En dehors de la passion d’ardente charité qui l’avait amené pour défendre son livre, n’était-il pas à Rome dans un but d’expérience ? Il fallait bien pousser jusqu’au bout les tentatives.

Le lendemain, de trop bonne heure, il se trouva sous la colonnade de Saint-Pierre, et il dut s’y attarder, en attendant. Jamais encore il n’avait mieux senti l’énormité de ces quatre rangées tournantes de colonnes, de cette forêt aux gigantesques troncs de pierre, où personne ne se promène d’ailleurs. C’est un désert grandiose et morne, on se demande pourquoi un portique si majestueux : pour l’unique majesté sans doute, pour la pompe de la décoration ; et toute Rome, une fois de plus, était là. Puis, il suivit la rue du Saint-Office, arriva devant le palais du Saint-Office, derrière la Sacristie, dans un quartier de solitude et de silence, que le pas d’un piéton, le roulement d’une voiture troublent à peine, de loin en loin. Le soleil seul s’y promène, en nappes lentes, sur le petit pavé blanchi. On y devine le voisinage de la basilique, l’odeur d’encens, la paix cloîtrée, dans le sommeil des siècles. Et, à un angle, le palais du Saint-Office est d’une nudité pesante et inquiétante : une haute façade jaune, percée d’une seule ligne de fenêtres ; tandis que, sur la rue latérale,