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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/477

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Intéressé et pris d’inquiétude, Pierre demanda :

— Croyez-vous donc le pape malade à ce point ?

Le comte sourit, leva les deux bras.

— Ah ! est-ce qu’on sait ? Ils sont tous malades, quand ils ont intérêt à l’être. Mais je le crois vraiment indisposé, un dérangement d’entrailles, dit-on ; et, à son âge, la moindre indisposition peut devenir fatale.

Quelques pas furent faits en silence ; puis, de nouveau, le prêtre posa une question.

— Alors, si le Saint-Siège se trouvait libre, le cardinal Sanguinetti aurait de grandes chances ?

— De grandes chances ! de grandes chances ! voilà encore une de ces choses qu’on ne sait jamais. La vérité est qu’on le classe parmi les candidats possibles ; et, si le désir d’être pape suffisait, Sanguinetti serait sûrement le pape futur, car il y met une passion, une fougue de volonté extraordinaire, brûlé jusqu’aux os par cette ambition suprême. C’est même là sa faiblesse, il s’use et il le sent. Aussi doit-il être décidé à tout pour les derniers jours de lutte. Soyez certain que, s’il est venu s’enfermer ici, en ce moment critique, ce doit être afin de mieux diriger sa bataille de loin, tout en affectant un désir de retraite, un détachement du meilleur effet.

Et il s’étendit complaisamment sur Sanguinetti, dont il aimait l’intrigue, l’âpre appétit de conquête, l’activité excessive, même un peu brouillonne. Il l’avait connu à son retour de la nonciature de Vienne, rompu aux affaires, résolu dès lors à mettre la main sur la tiare. Cette ambition expliquait tout, ses brouilles et ses raccommodements avec le pape régnant, sa tendresse pour l’Allemagne suivie d’une brusque évolution vers la France, ses attitudes successives devant l’Italie, d’abord le souhait d’une entente, puis une intransigeance absolue, pas de concessions, tant que Rome ne serait pas évacuée. Et il semblait s’en tenir là désormais, il affectait de déplorer le règne flottant de Léon XIII, de garder sa fervente admiration