Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/48

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Pierre leva la tête, et ce sévère logis, noirci par l’âge, d’une architecture si nue et si massive, lui serra un peu le cœur. Comme le palais Farnèse et comme le palais Sacchetti, ses voisins, il avait été bâti par Antonio da San Gallo, vers 1540 ; même, comme pour le premier, la tradition voulait que l’architecte eût employé, dans la construction, des pierres volées au Colisée et au théâtre de Marcellus. Vaste et carrée sur la rue, la façade à sept fenêtres avait trois étages, le premier très élevé, très noble. Et, pour toute décoration, les hautes fenêtres du rez-de-chaussée, barrées d’énormes grilles saillantes, dans la crainte sans doute de quelque siège, étaient posées sur de grandes consoles et couronnées par des attiques qui reposaient elles-mêmes sur des consoles plus petites. Au-dessus de la monumentale porte d’entrée, aux battants de bronze, devant la fenêtre du milieu, régnait un balcon. La façade se terminait, sur le ciel, par un entablement somptueux, dont la frise offrait une grâce et une pureté d’ornements admirables. Cette frise, les consoles et les attiques des fenêtres, les chambranles de la porte étaient de marbre blanc, mais si terni, si émietté, qu’ils avaient pris le grain rude et jauni de la pierre. À droite et à gauche de la porte, se trouvaient deux antiques bancs portés par des griffons, de marbre également ; et l’on voyait encore, encastrée dans le mur, à l’un des angles, une adorable fontaine Renaissance, aujourd’hui tarie, un Amour qui chevauchait un dauphin, à peine reconnaissable, tellement l’usure avait mangé le relief.

Mais les regards de Pierre venaient d’être attirés surtout par un écusson sculpté au-dessus d’une des fenêtres du rez-de-chaussée, les armes des Boccanera, le dragon ailé soufflant des flammes ; et il lisait nettement la devise, restée intacte : Bocca nera, Alma rossa, bouche noire, âme rouge. Au-dessus d’une autre fenêtre, en pendant, il y avait une de ces petites chapelles encore nombreuses à Rome, une Sainte Vierge vêtue de satin,