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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/486

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vous leur avez fait beaucoup de peine, et vraiment nous avons les mains liées, nous ne pouvons augmenter leur chagrin davantage… Si vous saviez le nombre de messes qu’ils nous envoient ! Sans eux, je connais plus d’un de nos pauvres prêtres qui mourrait de faim.

Il n’y avait qu’à s’incliner. Pierre se heurtait une fois de plus à cette question d’argent, à la nécessité où se trouvait le Saint-Siège d’assurer son budget, bon an mal an. C’était toujours le servage du pape, que la perte de Rome avait libéré du souci de régner, mais que sa gratitude forcée pour les aumônes reçues, clouait quand même à la terre. Les besoins étaient si grands, que l’argent régnait, était la puissance souveraine, devant laquelle tout pliait en cour de Rome.

Sanguinetti se leva pour donner congé au visiteur.

— Mais, cher fils, reprit-il avec effusion, ne vous désespérez pas. Je n’ai d’ailleurs que ma voix, je vous promets de tenir compte des excellentes explications que vous venez de me fournir… Et qui sait ? si Dieu est avec vous, il vous sauvera, même malgré nous !

C’était son ordinaire tactique, il avait pour principe de ne jamais pousser personne à bout, en renvoyant les gens sans espoir. À quoi bon dire à celui-ci que la condamnation de son livre était chose faite et que le seul parti prudent serait de le désavouer ? Il n’y avait qu’un sauvage, comme Boccanera, pour souffler la colère sur les âmes de feu et les jeter à la rébellion.

— Espérez, espérez ! répéta-t-il avec son sourire, en ayant l’air de sous-entendre une foule de choses heureuses, qu’il ne pouvait dire.

Pierre, profondément touché, se sentit renaître. Il oubliait même la conversation qu’il avait surprise, cette âpreté d’ambition, cette rage sourde contre le rival redouté. Et puis, chez les puissants, l’intelligence ne pouvait-elle tenir lieu de cœur ? Si celui-ci était pape un jour,