Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/533

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le rapport enfin favorable de monsignor Palma. On parlait de plus de cent mille francs en tout, ce qu’on ne trouvait pas trop cher, car un autre divorce, celui d’une comtesse française, avait coûté près d’un million. Le Saint-Père avait tant de besoins ! Et cela, d’ailleurs, ne fâchait personne, on se contentait d’en plaisanter malignement, les éventails battaient toujours dans la chaleur croissante, les dames avaient un frémissement d’aise, sous le vol discret des mots légers, murmurés à peine, qui frôlaient leurs épaules nues.

— Oh ! que la contessina doit être contente ! reprit Pierre. Je n’avais pas compris pourquoi sa petite amie nous disait, à notre arrivée, qu’elle allait être, ce soir, si heureuse et si belle… Et c’est à cause de cela, certainement, qu’elle va venir, elle qui, depuis ce procès, se considérait comme en deuil.

Mais Lisbeth, ayant rencontré les yeux de Narcisse, lui avait souri, et il dut aller la saluer à son tour, car il la connaissait, pour avoir traversé son atelier, comme toute la colonie étrangère. Il revenait près de Pierre, lorsqu’une nouvelle émotion parut agiter les aigrettes de diamants et les fleurs, dans les chevelures. Des têtes se tournèrent, le brouhaha grandit.

— Eh ! c’est le comte Prada en personne ! murmura Narcisse émerveillé. Une jolie carrure tout de même ! Habillez-le de velours et d’or, et quelle figure de bel aventurier du quinzième siècle, mordant sans scrupule à toutes les jouissances !

Prada entrait, l’air très à l’aise, gai, presque triomphant. Et, au-dessus du large plastron blanc de la chemise, que l’habit encadrait de noir, il avait vraiment une haute mine de proie, avec ses yeux francs et durs, sa face énergique, barrée d’épaisses moustaches brunes. Jamais sa bouche vorace n’avait montré sa dentition de loup, dans un sourire de sensualité plus ravie. D’un regard rapide, il examina, déshabilla toutes les femmes. Puis,