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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/544

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Sacco familier du roi, s’alliant par le mariage de son fils à une des plus nobles familles de l’aristocratie romaine, en passe d’être un jour le maître de Rome et de l’Italie, remuant dès maintenant, à pleines mains, l’argent et le peuple, quel soufflet encore pour sa vanité d’homme de proie, pour ses appétits toujours voraces de jouisseur, qui se sentait poussé hors de la table avant la fin du festin ! Tout croulait, tout lui échappait, Sacco lui volait ses millions, Benedetta lui labourait la chair, laissait en lui cette abominable blessure du désir inassouvi, dont jamais plus il ne devait guérir.

À ce moment, Pierre entendit de nouveau cette plainte sourde de fauve, ce grondement involontaire et désespéré, qui lui avait déjà bouleversé le cœur. Et il regarda le comte, il lui demanda :

— Vous souffrez ?

Mais, devant cet homme blême, qui gardait un grand calme par un effort surhumain de volonté, il regretta sa question indiscrète, restée d’ailleurs sans réponse. Aussi, pour le mettre à l’aise, continua-t-il, en disant tout haut les réflexions que faisait naître en lui le spectacle de la pompe qui se déroulait.

— Ah ! votre père avait raison, nous autres Français, avec notre éducation si profondément catholique, même en ces jours de doute universel, nous ne voyons toujours dans Rome que la Rome séculaire des papes, sans presque savoir, sans pouvoir presque comprendre les modifications profondes qui, d’année en année, en font la Rome italienne d’aujourd’hui. Si vous saviez, lorsque je suis arrivé ici, combien le roi avec son gouvernement, combien ce jeune peuple travaillant à se faire une grande capitale, étaient pour moi des quantités négligeables ! Oui, j’écartais cela, je n’en tenais aucun compte, dans mon rêve de ressusciter Rome, une nouvelle Rome chrétienne et évangélique, pour le bonheur des peuples.

Il eut un léger rire, prenant en pitié sa candeur ; et,