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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/576

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— Comment, encore ! ça recommence !

Sans doute, il faisait allusion au coup de couteau qu’il avait récemment soigné. Qui donc s’acharnait sur ce pauvre jeune prince, si inoffensif, si peu gênant ? Personne, du reste, ne pouvait comprendre, si ce n’étaient Pierre et Benedetta ; et celle-ci se trouvait dans une telle fièvre d’impatience, brûlant d’être rassurée qu’elle n’écoutait pas, n’entendait pas.

— Oh ! docteur, je vous en supplie, voyez-le, examinez-le, dites nous que ce n’est rien… Ça ne peut rien être, puisqu’il était si bien portant, si gai tout à l’heure… Ce n’est rien, ce n’est rien n’est-ce pas ?

— Sans doute, sans doute, contessina, ce n’est certainement rien… Nous allons voir.

Il s’était tourné, et il s’inclina profondément devant le cardinal, qui revenait du fond de la salle à manger, de son pas égal et songeur, pour se planter au pied du lit, immobile. Sans doute lut-il, dans les yeux sombres fixés sur les siens, une inquiétude mortelle, car il n’ajouta rien, il se mit à examiner Dario, en homme qui a senti le prix des minutes. Et, à mesure que son examen avançait, son visage d’affable optimisme prenait une gravité blême, une sourde terreur, que témoignait seul un petit frémissement des lèvres. C’était lui qui, précisément, avait assisté monsignor Gallo dans la crise dont celui-ci était mort, une crise de fièvre infectieuse, ainsi qu’il l’avait diagnostiqué pour le bulletin de décès. Sans doute lui aussi reconnaissait les mêmes terribles symptômes, la face d’un gris de plomb, l’hébétement d’affreuse ivresse ; et, en vieux médecin romain, habitué aux morts subites, il sentait passer le mauvais air qui tue, sans que la science ait encore bien compris, exhalaison putride du Tibre ou séculaire poison de la légende.

Mais il avait relevé la tête, et son regard de nouveau se rencontra avec le regard noir du cardinal, qui ne le quittait pas.