Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/58

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sans postérité, les Boccanera, si vivaces, dont l’action avait empli l’histoire, devaient disparaître.

Dès l’enfance, Dario et sa cousine Benedetta s’étaient aimés d’une passion souriante, profonde et naturelle. Ils étaient nés l’un pour l’autre, ils n’imaginaient pas qu’ils pussent être venus au monde pour autre chose que pour être mari et femme, lorsqu’ils seraient en âge de se marier. Le jour où, déjà près de la quarantaine, le prince Onofrio, homme aimable très populaire dans Rome, dépensant son peu de fortune au gré de son cœur, s’était décidé à épouser la fille de la Montefiori, la petite marquise Flavia, dont la beauté superbe de Junon enfant l’avait rendu fou, il était allé habiter la villa Montefiori, la seule richesse, l’unique propriété que ces dames possédaient, du côté de Sainte-Agnès-hors-les-Murs : un vaste jardin, un véritable parc, planté d’arbres centenaires, où la villa elle-même, une assez pauvre construction du dix-septième siècle, tombait en ruine. De mauvais bruits couraient sur ces dames la mère presque déclassée depuis qu’elle était veuve, la fille trop belle, les allures trop conquérantes. Aussi le mariage avait-il été désapprouvé formellement par Serafina, très rigide, et par le frère aîné, Pio, alors seulement camérier secret participant du Saint-Père, chanoine de la Basilique vaticane. Et, seule, Ernesta avait gardé avec son frère, qu’elle adorait pour son charme rieur, des relations suivies ; de sorte que, plus tard, sa meilleure distraction était devenue, chaque semaine, de mener sa fille Benedetta passer toute une journée à la villa Montefiori. Et quelle journée délicieuse pour Benedetta et pour Mario, âgés elle de dix ans, lui de quinze, quelle journée, tendre et fraternelle, au travers de ce jardin si vaste, presque abandonné, avec ses pins parasols, ses buis géants, ses bouquets de chênes verts, dans lesquels on se perdait comme dans une forêt vierge !

Ce fut une âme de passion et de souffrance que la