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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/582

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ni colère, ni besoin de vengeance, et que j’efface le nom du meurtrier de ma mémoire, et que j’ensevelis son action abominable dans l’éternel silence de la tombe !

Et sa haute taille semblait avoir grandi encore, pendant que, la main levée dans un geste large, il prononçait ce serment, cet abandon de ses ennemis à l’unique justice de Dieu ; car ce n’était pas de Santobono qu’il entendait parler seulement, mais aussi du cardinal Sanguinetti, dont il avait deviné l’influence néfaste. Et une infinie détresse, une souffrance tragique le bouleversait, dans l’héroïsme de son orgueil, à la pensée de la lutte sombre autour de la tiare, de tout ce qui s’agitait de mauvais et de vorace, au fond des ténèbres.

Puis, comme Pierre et don Vigilio s’inclinaient, pour lui promettre de se taire, une émotion invincible l’étrangla, le sanglot qu’il refoulait monta brusquement à sa gorge, pendant qu’il bégayait :

— Ah ! mon pauvre enfant, mon pauvre enfant ! Ah ! l’unique fils de notre race, le seul amour et le seul espoir de mon cœur ! Ah ! mourir, mourir ainsi !

Mais, violente de nouveau, Benedetta s’était relevée.

— Mourir ? qui donc, Dario ?… Je ne veux pas, nous allons le soigner, nous allons retourner près de lui. Et nous le prendrons dans nos bras, et nous le sauverons. Venez, mon oncle, venez vite… Je ne veux pas, je ne veux pas, je ne veux pas qu’il meure !

Elle marchait vers la porte, rien ne l’aurait empêchée de rentrer dans la chambre, lorsque, justement, Victorine parut, l’air égaré, ayant perdu tout courage, malgré sa belle sérénité habituelle.

— Le docteur prie Madame et Son Éminence de venir tout de suite, tout de suite.

Pierre, frappé de stupeur par ces choses, ne les suivit pas, resta un instant en arrière, avec don Vigilio, dans la salle à manger ensoleillée. Eh quoi ! le poison, le poison comme au temps des Borgia, dissimulé élégamment,