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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/584

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Tata, la perruche, gisait de même, molle et tiède, le bec taché d’une goutte de sang. Pourquoi donc Prada avait-il menti en racontant une bataille ? C’était toute une complication de passions et de luttes obscures, dans les ténèbres desquelles Pierre sentait qu’il perdait pied ; de même qu’il ne savait comment reconstituer l’effroyable combat qui avait dû se produire dans le cerveau de cet homme, pendant la nuit du bal. Il ne pouvait le revoir à son côté, l’évoquer pendant son retour matinal au palais Boccanera, sans frémir, en devinant sourdement tout ce qui s’était décidé d’épouvantable, à cette porte. D’ailleurs, malgré les obscurités et les impossibilités, que ce fût contre le cardinal ou plutôt dans l’espoir d’une flèche égarée qui le vengerait, au petit bonheur du hasard farouche, le fait terrible était là : Prada savait, Prada aurait pu arrêter le destin en marche, et il avait laissé le destin accomplir son aveugle besogne de mort.

Mais Pierre, en tournant la tête, aperçut don Vigilio à l’écart sur la chaise d’ou il n’avait pas bougé, si défait et si pâle, qu’il le crut frappé, lui aussi.

— Est-ce que vous êtes souffrant ?

D’abord, le secrétaire sembla ne pouvoir répondre, tellement la terreur le serrait à la gorge. Puis, d’une voix basse :

— Non, non, je n’en ai pas mangé… Ah ! grand Dieu ! quand je songe que j’en avais grande envie et que la déférence seule m’a retenu, en voyant que Son Éminence n’en mangeait pas !

Il eut un petit grelottement de tout son corps, à cette pensée que son humilité seule venait de le sauver. Et il gardait, sur ses mains, sur son visage, le froid de la mort voisine, dont il avait senti le frôlement.

À deux reprises, il finit par soupirer, tandis que, dans son effroi, il écartait d’un geste l’affreuse chose, en murmurant :

— Ah ! Paparelli, Paparelli !