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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/640

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de déformation fatale, l’extraordinaire cerveau qu’il devait être, avec ses erreurs, ses lacunes, parmi tant d’admirables qualités, la compréhension vive, la volonté patiente, le vaste effort qui généralise et qui agit. Mais l’intuition surtout paraissait prodigieuse, car n’était-ce pas elle, elle seule, qui lui faisait deviner, dans son emprisonnement volontaire, l’énorme évolution, au loin, de l’humanité d’aujourd’hui ? Il avait ainsi la nette conscience de l’effroyable danger au milieu duquel il baignait, de cette mer montante de la démocratie, de cet océan sans bornes de la science, qui menaçait de submerger l’îlot étroit où triomphait encore le dôme de Saint-Pierre. Il pouvait même se dispenser de se mettre à sa fenêtre, les voix du dehors traversaient les murs, lui apportaient le cri d’enfantement des sociétés nouvelles. Et toute sa politique partait de là, il n’avait jamais eu d’autre besogne que de vaincre pour régner. S’il voulait l’unité de l’Église, c’était pour la rendre forte, inexpugnable, dans l’assaut qu’il prévoyait. S’il prêchait la conciliation, cédant de tout son pouvoir sur les questions de forme, tolérant les audaces des évêques d’Amérique, c’était que sa grande peur inavouée était la dislocation de l’Église elle-même, quelque schisme brusque qui aurait précipité le désastre. Ah ! ce schisme, il devait le sentir dans l’air venu des quatre points de l’horizon, tel qu’une menace prochaine, un péril inévitable de mort, contre lequel il fallait s’armer à l’avance ! Et comme cette crainte expliquait son retour de tendresse vers le peuple, sa préoccupation du socialisme, la solution chrétienne qu’il offrait aux misères d’ici-bas ! Puisque César était abattu, la longue dispute de savoir qui de lui ou du pape aurait le peuple, ne se trouvait-elle pas vidée, par ce fait que le pape seul restait debout et que le peuple, le grand muet, allait enfin parler et se donner à lui ? L’expérience était tentée en France, il y abandonnait la monarchie vaincue, il y reconnaissait la République, il la rêvait forte, victorieuse, car elle était