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Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/653

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famille comptait deux papes, de grands capitaines, de grands amoureux l’avaient aussi illustrée. Jamais il ne laisserait toucher à ces deux enfants, si purs en leur douloureuse existence, et que la tombe seule avait unis. Il était le maître en son palais, on les coudrait dans le même suaire, on les clouerait dans le même cercueil. Ensuite, le service religieux serait fait à San Carlo, l’église voisine, dont il avait le titre cardinalice, où il était le maître encore. Et, s’il le fallait, il irait jusqu’au pape. Et telle était sa volonté souveraine, exprimée si hautement, que tout le monde dans la maison avait dû s’incliner, sans se permettre un geste ni un souffle.

Alors, donna Serafina s’était occupée de la toilette dernière. Selon l’usage, les domestiques se trouvaient là, Victorine avait aidé la famille, comme la servante la plus ancienne, la plus aimée. Il avait fallu se contenter d’envelopper d’abord les deux amants dans les cheveux dénoués de Benedetta, la chevelure odorante, épaisse et large, ainsi qu’un royal manteau ; puis, on les avait vêtus d’un même linceul de soie blanche, serré à leurs cous, qui faisait d’eux un seul être dans la mort. Et, de nouveau, le cardinal avait exigé qu’ils fussent descendus chez lui, qu’on les couchât sur un lit de parade, au milieu de la salle du trône, pour leur rendre un suprême hommage, comme aux derniers du nom, aux deux fiancés tragiques, avec qui la gloire jadis retentissante des Boccanera retournait à la terre. D’ailleurs, donna Serafina s’était rangée tout de suite à ce projet, car elle jugeait peu décent que sa nièce, même morte, fût aperçue dans cette chambre, sur ce lit d’un jeune homme. L’histoire arrangée circulait déjà : le brusque décès de Dario emporté en quelques heures par une fièvre infectieuse ; la douleur folle de Benedetta, qui avait expiré sur son corps, en le serrant une dernière fois entre ses bras ; et les honneurs royaux qu’on leur rendait, et les belles noces funèbres qu’on leur faisait, allongés tous les deux sur le même lit d’éternel