Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/658

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enfin satisfaite, posées toutes deux sur le même coussin, mêlant leurs chevelures ! Benedetta avait gardé sa face divinement rieuse, aimante et fidèle pour l’éternité, exaltée d’avoir rendu son dernier souffle en un baiser d’amour. Dario, en son allégresse dernière, était resté plus douloureux, tel que les marbres des pierres funéraires, que les amoureuses s’épuisent à étreindre vainement. Et ils avaient encore les yeux grands ouverts, plongeant les uns au fond des autres, et ils continuaient à se regarder sans fin avec une douceur de caresse que jamais rien ne devait plus troubler.

Mon Dieu ! était-ce donc vrai qu’il l’avait aimée, cette Benedetta, d’un amour si pur, si dégagé de toute idée d’impossible possession ! Et Pierre était remué jusqu’au fond de l’âme par les heures délicieuses qu’il avait passées près d’elle, dans un lien d’une exquise amitié, aussi douce que l’amour. Elle était si belle, si sage, si brûlante de passion ! Lui-même avait fait un si beau rêve, animer de sa fraternité libératrice cette admirable créature, à l’âme de feu, aux airs indolents, en laquelle il revoyait toute l’ancienne Rome, qu’il aurait voulu réveiller et conquérir à l’Italie de demain. Il rêvait de la catéchiser, de lui élargir le cœur et le cerveau, en lui donnant l’amour des petits et des pauvres, le flot de pitié d’aujourd’hui pour les choses et pour les êtres. Maintenant, cela l’aurait fait un peu sourire, s’il n’avait pas débordé de larmes. Comme elle s’était montrée charmante, en s’efforçant de le contenter, malgré les obstacles invincibles, la race, l’éducation le milieu, qui l’empêchaient de le suivre ! Elle était une écolière docile, mais incapable de progrès véritable. Un jour pourtant, elle avait semblé se rapprocher de lui, comme si la souffrance lui ouvrait l’âme à toutes les charités. Puis, l’illusion du bonheur était venue, et elle n’avait plus rien compris à la misère des autres, elle s’en était allée dans l’égoïsme de son espoir et de sa joie, à elle. Était-ce donc, grand Dieu ! que cette race, condamnée