Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/735

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la papauté était la prisonnière, la revenante de dix-huit siècles d’atavisme, dans son rêve ininterrompu de la domination universelle. Où sa foi de prêtre, exalté par l’amour des souffrants et des pauvres, était venue chercher la vie, une résurrection de la communauté chrétienne, il avait trouvé la mort, la poussière d’un monde détruit, sans germination possible, une terre épuisée de laquelle ne pousserait jamais plus que cette papauté despotique, maîtresse des corps ainsi qu’elle était maîtresse des âmes. À son cri éperdu qui demandait une religion nouvelle, Rome s’était contentée de répondre en condamnant son livre, comme entaché d’hérésie, et lui-même l’avait retiré, dans l’amère douleur de sa désillusion. Il avait vu, il avait compris, tout s’était effondré. Et c’était lui, son âme et son cerveau, qui gisait parmi les décombres.

Pierre étouffa. Il quitta sa chaise, alla ouvrir toute grande la fenêtre qui donnait sur le Tibre, pour s’y accouder un instant. La pluie s’était remise à tomber vers le soir ; mais, de nouveau, elle venait de cesser. Il faisait très doux, une douceur humide, oppressante. Dans le ciel d’un gris de cendre, la lune devait s’être levée, car on la sentait derrière les nuages, qu’elle éclairait d’une lumière jaune et louche, infiniment triste. Sous cette clarté dormante de veilleuse, le vaste horizon apparaissait noir, fantomatique, le Janicule en face, avec les maisons entassées du Transtévère, la coulée du fleuve là-bas, à gauche, vers la hauteur confuse du Palatin, tandis que le dôme de Saint-Pierre, à droite, détachait sa rondeur dominatrice au fond de l’air pâle. Il ne pouvait apercevoir le Quirinal, mais il le savait derrière lui, il se l’imaginait barrant un coin du ciel, avec sa façade interminable, dans cette nuit si mélancolique, d’un vague de songe. Et quelle Rome finissante, à demi mangée par l’ombre, différente de la Rome de jeunesse et de chimère qu’il avait vue et passionnément aimée, le premier jour,