Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/751

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cette compatriote, cette bonne âme, qui l’avait accueilli, le jour de l’arrivée, et qui le saluait, au départ.

— Je ne vous dis pas au revoir, monsieur l’abbé, car je ne crois pas que vous reviendrez de sitôt dans leur satanée ville… Adieu, monsieur l’abbé.

— Adieu, Victorine. Et merci bien, de tout mon cœur.

Déjà, la voiture partait, au trot vif du cheval, tournait dans les rues étroites et tortueuses qui mènent au cours Victor-Emmanuel. Il ne pleuvait pas, la capote n’avait pas été relevée ; mais l’air humide avait beau être doux, le prêtre se sentit tout de suite pris de froid, sans vouloir perdre le temps à faire arrêter le cocher, un silencieux, celui-ci, qui semblait n’avoir que la hâte de se débarrasser de son voyageur.

Et, lorsque Pierre déboucha sur le cours Victor-Emmanuel, il fut surpris de le trouver déjà si désert, à cette heure peu avancée de la nuit, les maisons barricadées, les trottoirs vides, les lampes électriques brûlant seules dans la mélancolique solitude. À la vérité, il ne faisait guère chaud, et le brouillard paraissait grandir, noyait de plus en plus les façades. Quand il passa devant la Chancellerie, il lui sembla que le sévère et colossal monument se reculait, s’évanouissait dans un rêve. Et, plus loin, à droite, au bout de la rue d’Aracœli étoilée de rares becs de gaz fumeux, le Capitole avait sombré en pleines ténèbres. Puis, le large cours se resserra, la voiture fila entre les deux masses sombres, écrasantes, du Gesù obscur et du lourd palais Altieri ; et ce fut dans ce couloir étranglé où par les beaux soleils eux-mêmes tombait toute l’humidité des temps anciens, qu’il s’abandonna à une songerie nouvelle, la chair et l’âme envahies d’un frisson.

Brusquement, le réveil se faisait en lui de cette pensée, dont il avait eu parfois l’inquiétude, que l’humanité, partie là-bas de l’Asie, avait toujours marché dans le sens du soleil. Un vent d’est avait toujours soufflé, emportant à l’ouest la semence humaine, pour les moissons futures.