Page:Zola - Les Trois Villes - Rome, 1896.djvu/94

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autrefois l’avait choisi lui-même, afin de l’écarter de la succession au trône pontifical ; car, si, en le nommant, le conclave avait méconnu la tradition qui voulait que le camerlingue ne pût être élu pape, sans doute reculerait-on devant une infraction nouvelle. Et l’on disait encore que la lutte sourde continuait, comme sous le règne passé, entre le pape et le camerlingue, ce dernier à l’écart, condamnant la politique du Saint-Siège, d’opinion radicalement opposée en tout, attendant muet, dans le néant actuel de sa charge, la mort du pape, qui lui donnerait le pouvoir intérimaire jusqu’à l’élection du pape nouveau, le devoir d’assembler le conclave et de veiller à la bonne expédition transitoire des affaires de l’Église. L’ambition de la papauté, le rêve de recommencer l’aventure du cardinal Pecci, camerlingue et pape, n’était-il pas derrière ce grand front sévère, dans la flamme même de ces regards noirs ? Son orgueil de prince romain ne connaissait que Rome, il se faisait presque une gloire d’ignorer totalement le monde moderne, et il se montrait d’ailleurs très pieux, d’une religion austère, d’une foi pleine et solide, incapable du plus léger doute.

Mais un chuchotement tira Pierre de ses réflexions. C’était don Vigilio qui l’invitait à s’asseoir, de son air prudent.

— Ce sera long peut-être, vous pouvez prendre un tabouret.

Et il se mit à couvrir une grande feuille jaunâtre d’une écriture fine, tandis que Pierre, machinalement, pour obéir, s’asseyait, sur un des tabourets de chêne, rangés le long du mur, en face du portrait. Il retomba dans une rêverie, il crut voir renaître et éclater, autour de lui, le faste princier d’un des cardinaux d’autrefois. D’abord, le jour où il était nommé, le cardinal donnait des fêtes, des réjouissances publiques, dont certaines sont citées encore pour leur splendeur. Pendant trois journées, les portes des salons de réception restaient grandes ouvertes, entrait