Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/123

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tour d’elle. Que cette vie morte était douce pour sa nature droite et froide, après les secousses de chair dans lesquelles le hasard l’avait jetée ! Elle remerciait le plafond glacial, les murailles muettes, toute cette demeure qui l’enveloppait d’un suaire ; elle tendait ses mains à Guillaume comme pour lui rendre grâce : il l’avait guérie en lui redonnant sa dignité perdue, il était son sauveur bien-aimé.

Les époux passèrent ainsi leurs hivers dans une solitude presque complète. Ils ne quittèrent pas la salle du rez-de-chaussée ; un grand feu, des quartiers d’arbres brûlaient sur les briques de l’immense cheminée, et ils restaient là des journées entières, faisant le jour ce qu’ils avaient fait la veille. Ils menaient une vie d’horloge, tenant à leurs habitudes avec un entêtement de gens parfaitement heureux qui redoutent la moindre secousse. À peine s’occupaient-ils ; ils ne s’ennuyaient jamais, ou du moins le sentiment d’ennui morne qui les berçait leur semblait être leur félicité elle-même. D’ailleurs, pas de caresses passionnées, pas de voluptés pour oublier la marche lente des heures. Deux amants s’enferment parfois, demeurent une saison dans les bras l’un de l’autre, à contenter leurs désirs, changeant les journées en nuits d’amour. Guillaume et Madeleine se souriaient simplement ; leur solitude restait chaste ; s’ils s’emprisonnaient, ce n’était pas qu’ils eussent des baisers à cacher, c’était qu’ils aimaient le grand silence de l’hiver, la paix du froid. Il leur suffisait de vivre seuls, face à face, et de se donner le calme de leur présence.

Puis, dès que venaient les beaux jours, ils ouvraient les fenêtres. Ils descendaient au parc. Au lieu de s’isoler dans la vaste salle, ils se cachaient au fond de quelque taillis. Rien n’était changé. Ils vécurent de la sorte leurs belles saisons, sauvages et retirés, fuyant le bruit. Guillaume préférait l’hiver, l’air tiède et moite du foyer ; mais Madeleine adorait toujours le soleil, le grand soleil qui lui mordait la nuque et qui donnait à son sang des batte-