Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/130

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hommes mûrs, étaient un attrait invincible pour les drôles de seize ans.

Aux yeux de son mari, Hélène était une petite machine singulièrement curieuse. Il l’avait épousée dans un jour d’ennui. Il l’aurait chassée le lendemain de sa maison, s’il avait pensé qu’elle valût sa colère. Le travail laborieux de la physionomie de cette coquette lui causait de vives jouissances ; il cherchait les rouages secrets qui faisaient aller les yeux et les lèvres de la petite machine. Ce visage pâle, enduit de fard, qui ne restait jamais en repos, lui paraissait d’un comique lugubre, avec ses clignements de paupières, ses pincements de bouche, tout son jeu rapide et muet pour lui. C’était en contemplant longuement sa femme, qu’il avait fini par se convaincre que l’humanité se trouvait composée de marionnettes stupides et méchantes. Quand il fouillait les rides de la poupée vieillie, il découvrait, sous ses grimaces, des infamies et des sottises qui la lui faisaient considérer comme une bête qu’il aurait fallu fouailler. Il préférait se distraire à l’étudier et à la mépriser. Il la traitait en animal domestique ; ses vices le laissaient aussi indifférent que les miaulements d’une chatte en rut ; mettant son honneur bien au-dessus des hontes d’une pareille créature, il assistait, avec un dédain superbe et une froide ironie, au spectacle de la procession d’adolescents défilant dans la chambre de sa femme. On eût dit qu’il se plaisait à étaler son mépris des hommes, ses négations de toutes vertus, en tolérant ainsi les saletés qui se passaient sous son propre toit, en paraissant accepter la débauche et l’adultère comme des choses générales et naturelles. Son silence, son sourire cruellement moqueur disaient : « Le monde est un ignoble trou de fange ; j’y suis tombé et je dois y vivre. »

Hélène ne se gênait guère avec son mari. Elle tutoyait ses amants devant lui, persuadée qu’il ne l’entendait pas. M. de Rieu lisait le tutoiement sur ses lèvres, et il montrait alors une exquise politesse pour les jeunes gens,