Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/140

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tout au château ; elle m’a vu naître, elle a vu naître mon père… Sais-tu qu’elle doit avoir plus de quatre-vingt-dix ans, et qu’elle est encore ferme et droite ? elle travaillera à cent ans passés… Il faut l’aimer, Madeleine ; c’est une vieille servante de la famille.

Madeleine ne l’écoutait pas. Elle était plongée dans une rêverie inquiète. Puis, avec une anxiété soudaine :

— Crois-tu, demandait-elle, que le Ciel ne pardonne jamais ? »

Son mari, surpris et attristé, l’embrassait alors en lui demandant d’une voix émue pourquoi elle doutait du pardon. Elle ne répondait pas directement, elle murmurait :

— Geneviève dit qu’il faut au Ciel son compte de sanglots… Il n’y a pas de pardon.

Cette scène se renouvela plusieurs fois. C’était d’ailleurs la seule secousse qui tirât par moments les jeunes époux de leur sérénité. Ils passèrent ainsi les quatre premières années de leur mariage, dans une solitude à peine troublée par les visites des de Rieu, dans un bonheur que les lamentations de Geneviève ne pouvaient ébranler sérieusement. Il leur fallait un coup plus rude pour les jeter de nouveau à la douleur.

Ce fut au commencement de la cinquième année, vers les premiers jours de novembre, que Tiburce accompagna Hélène à Paris. Guillaume et Madeleine, certains de n’être plus dérangés, s’apprêtèrent à passer leur hiver dans la grande salle paisible où ils avaient vécu si tranquillement déjà quatre mauvaises saisons. Un instant, ils parlèrent d’aller habiter à Paris leur petite maison de la rue de Boulogne, mais ils remirent ce voyage à l’année suivante, comme ils faisaient chaque année ; ils ne voyaient plus la nécessité de quitter Véteuil. Pendant deux mois, jusqu’en janvier, ils menèrent leur existence close, égayée par le babil de leur fille qui grandissait. Une paix souveraine les endormait, et ils comptaient bien ne s’éveiller jamais.