Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/146

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— Mais Jacques est là, dit-il, il sera ici dans une seconde… Tu penses bien que je ne l’ai pas lâché… Il aide à dételer le cheval qui s’est blessé… Les chemins sont atroces, et la nuit est d’un noir !

Puis il alla ouvrir la fenêtre et cria :

— Eh ! Jacques, dépêche-toi ?

Une voix forte, qui venait des ténèbres de la cour, répondit :

— Oui, oui.

Cette voix frappa Madeleine en pleine poitrine, comme une masse de fer. Elle se laissa glisser de nouveau sur son siège en poussant un soupir étouffé, un râle d’agonie. Oh ! qu’elle aurait voulu mourir ! Qu’allait-elle dire quand Jacques entrerait, quelle serait son attitude entre ces deux frères, son mari d’aujourd’hui et son amant d’autrefois ? Elle devenait folle à l’idée de la scène qui allait se passer. Elle pleurerait de rage et de douleur, elle se cacherait le visage entre les mains, tandis que Jacques et Guillaume s’écarteraient avec dégoût ; elle se traînerait à leurs pieds, follement, n’osant plus se réfugier dans les bras de son mari, désespérée d’avoir jeté sa honte comme un abîme entre ces amis d’enfance. Et elle se répétait ces paroles : « Jacques est là, il sera ici dans une seconde. » Chaque seconde qui s’écoulait était pour elle un siècle d’angoisse. Les yeux fixés sur la porte, elle baissait les paupières au moindre bruit, pour ne pas voir. Cette situation, cette attente qui dura au plus une minute, renferma toutes les souffrances d’une vie.

Guillaume continuait à marcher joyeusement de long en large. Il finit cependant par s’apercevoir de la pâleur de Madeleine.

— Qu’as-tu donc ? lui demanda-t-il en s’approchant.

— Je ne sais, balbutia-t-elle, j’ai été souffrante toute la soirée.

Puis faisant un effort, elle se souleva, elle appela tout ce qui lui restait d’énergie pour fuir, pour retarder la terrible explication.