Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/148

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chant dans la pièce, d’un air curieux. Lui qui comprenait un peu l’amour en garnement, il était très-intrigué de savoir quelle femme avait pu épouser son ami, ce cœur délicat et faible dont les enthousiasmes amoureux le faisaient bien rire autrefois. Guillaume comprit l’interrogation muette de son regard.

— Ma femme est souffrante, dit-il, tu la verras demain.

Puis, se tournant vers Geneviève qui n’avait pas encore quitté la salle :

— Vite, reprit-il, fais préparer la chambre bleue. Jacques doit être brisé de fatigue.

La protestante s’était aperçue de l’émotion poignante de Madeleine. Une curiosité âpre l’avait seule retenue dans la pièce. Depuis longtemps, son esprit d’inquisiteur flairait le péché chez la jeune femme. Cette belle et forte créature, aux cheveux roux, aux lèvres rouges, exhalait pour elle une odeur charnelle, infernale. Malgré les répugnances de sa religion pour les images, la fanatique possédait dans sa chambre une gravure de la tentation de saint Antoine dont le tohu-bohu démoniaque plaisait à sa nature visionnaire. Ces diablotins qui tourmentaient le pauvre saint avec d’atroces grimaces, cette bouche de l’enfer qui s’ouvrait pour engloutir la vertu à la moindre défaillance, étaient un symbole fidèle de ses croyances religieuses. Dans un coin, des femmes étalaient lascivement leur gorge nue devant le vertueux ermite, et le hasard avait voulu qu’une de ces femmes eût une lointaine ressemblance avec Madeleine. Cette ressemblance frappait singulièrement l’imagination ardente de Geneviève ; elle s’épouvantait en retrouvant dans la jeune épouse de Guillaume, le sourire gras, la chevelure insolente de la courtisane, du monstre vomi par l’abîme. Souvent même elle l’appelait, dans sa pensée, avec une exaltation d’exorciste, de l’épithète latine : Lubrica, qui se trouvait écrite sur la marge de la gravure, au-dessous de la diablesse. Tout le bas de cette image, grossièrement imprimée, était ainsi couvert de noms figurés personni-