Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/160

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à la tête, et donnait à ses dents un petit claquement sec et régulier.

— Lui !… oh ! malheureuse ! malheureuse ! répéta-t-il d’une voix brisée.

Il joignit les mains, dans une attitude de prière. Ses cheveux légèrement dressés sur ses tempes, ses prunelles agrandies, ses lèvres blanches et fiévreuses, toute sa face bouleversée par une angoisse poignante, semblait prier le ciel de ne point le frapper avec tant de cruauté. Il y avait en lui plus d’épouvante que de colère. Jadis il prenait cette attitude au collège quand ses camarades venaient de le rouer de coups, et qu’il se désespérait dans un coin, en se demandant quelle faute il avait pu commettre. Il ne trouvait, au fond de son cœur saignant, pas un reproche, pas une insulte qu’il pût jeter à Madeleine pour soulager sa douleur ; il se contentait de la regarder en silence de ses grands yeux d’enfant suppliants et terrifiés.

La jeune femme souhaitait qu’il la battît. Elle se serait révoltée sous sa main, elle aurait retrouvé son énergie. Ses regards désespérés, sa pose de victime la jetèrent toute pantelante à ses pieds.

— Pardon, balbutia-t-elle en se traînant à terre, pleurante, les cheveux sur la face, secouée par des crises de sanglots, pardon, Guillaume. Tu souffres, mon ami. Ah ! Dieu est sans pitié. Il châtie ses créatures en maître jaloux et implacable. Geneviève avait raison de frissonner devant lui et de m’épouvanter de sa colère. Je ne croyais pas cette femme, j’espérais que le Ciel pardonnait quelquefois. Il ne pardonne jamais. Je disais : Le passé est mort, je puis vivre en paix. Le passé, c’était cet homme que la mer avait englouti. Il était enseveli avec ma honte au fond des vagues, roulé dans les profondeurs de l’Océan, battu contre les rochers, disparu pour toujours. Eh bien ! non, il ressuscite, il revient du gouffre avec ses gros rires ; la fatalité le jette à la côte et l’envoie nous voler notre bonheur… Comprends-tu cela, toi, Guillaume ? Il était mort, et il n’est plus mort… C’est bête et cruel à en mourir…