Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/175

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

courtisane, une face dure et épaisse de femme rassasiée. La flamme qui frappait de biais sur son visage, y creusait de fortes ombres, rendues plus noires par les arêtes luisantes du nez et du front ; les traits s’accusaient rudement, toute la physionomie, muette et comme figée, prenait un air de cruauté. Et, le long des joues jusqu’au menton, la chevelure rousse, encore roide d’eau de pluie, tombait par masses lourdes, encadrant la figure de lignes rigides. Ce masque froid, ce front de morte, ces yeux gris et ces lèvres rouges que le sourire n’éclairait pas, causaient au jeune homme un étonnement plein de malaise. Il ne reconnaissait plus cette face qu’il avait vue si riante et si puérile. C’était comme un nouvel être qui se montrait à lui, et il interrogeait chaque trait pour y lire les pensées qui transformaient ainsi la jeune femme. Lorsque ses regards s’égaraient plus bas, sur la poitrine et sur les jambes nues, il y regardait danser la lueur jaune du foyer avec une sorte d’effroi. La peau blondissait ; par moments, on eût dit qu’elle se couvrait de taches de sang qui coulaient rapidement sur les rondeurs des seins et des genoux, disparaissant, puis revenant encore marbrer l’épiderme tendre et délicat.

Madeleine se pencha vers le foyer et se mit à tisonner, toujours songeuse, sans trop savoir ce qu’elle faisait. Elle resta ainsi courbée, le visage presque dans la flamme. Son large peignoir, que rien n’attachait, avait glissé le long de ses épaules, jusqu’au milieu du dos.

Et Guillaume sentit alors son cœur se serrer à la vue de cette puissante nudité. Il suivait le mouvement souple et fort du buste découvert, les lignes flexibles du col penché et des épaules tombantes ; il allait ainsi, en descendant le long du renflement de l’échine et en tournant autour du corps, jusque sous le bras, à cet endroit où un bout de sein rose apparaissait dans l’ombre de l’aisselle. La blancheur de la peau, cette blancheur laiteuse des femme rousses, faisait ressortir le noir d’un signe que Madeleine avait au bas du cou. Et il s’arrêtait douloureu-