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Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/188

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brutal de la souffrance. L’idée que la ressemblance de Lucie avec le premier amant de sa mère était un cas assez fréquent, tenant à certaines lois physiologiques inconnues encore, ne pouvait lui venir, en un pareil moment d’angoisse. Il en restait à l’explication cruelle qui le torturait. Toute la personne de Madeleine s’indignait. Elle aurait voulu le persuader de son innocence, mais elle voyait avec désespoir qu’il lui était impossible de donner une preuve. Il accusait ses pensées ; elle n’avait que des protestations et des serments pour se défendre. Pendant quelques minutes, ils gardèrent tous deux un silence plein de sanglots et de cris contenus.

— Ah ! mes pommes sont cuites ! dit tout à petite la petite Lucie.

Elle était restée jusque-là dans une extase recueillie, rendue muette par le spectacle de ses pommes et de sa galette. Elle se leva alors en battant des mains, prit une assiette sur le guéridon et revint y poser proprement les fruits. Mais ils étaient si chauds qu’elle fut obligée d’attendre. Elle s’assit de nouveau sur le tapis, les regardant fumer avec une convoitise qui les lui faisait de temps à autre toucher du bout des doigts. Quand ils lui parurent bons à manger, il lui prit un scrupule. Elle réfléchit qu’il serait peut-être convenable d’en offrir à ses parents. Il y eut en elle une courte lutte entre sa gourmandise et son bon cœur ; puis elle accourut tendre l’assiette à son père.

— En veux-tu, papa ? demanda-t-elle d’une voix hésitante qui sollicitait un refus.

Depuis qu’elle faisait sa cuisine, de l’air affairé d’une femme accablée de besogne, elle n’avait plus levé les yeux. Lorsqu’elle vit son père qui pleurait et qui la regardait d’une façon désespérée, elle devint toute sérieuse. Elle remit par terre son assiette.

— Tu pleures, tu n’as pas été sage ? reprit-elle.

Et elle s’approcha de Guillaume, sur les genoux duquel elle posa ses petites mains. Elle se haussait sur la pointe des pieds, avec des envies de s’aider d’un bras du