Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/200

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tous les deux dans leur affection. Et il se laissait aller à ce songe d’une existence solitaire, caressé depuis sa jeunesse, et qui lui paraissait de plus en plus doux, à mesure qu’il se sentait plus cruellement frappé par sa destinée. Ses besoins de calme croissaient, son désir de conserver l’amour de Madeleine devenait de la lâcheté : elle l’eût battu, à certains moments, qu’il se serait pendu à son cou pour la supplier d’essuyer ses larmes. Cependant il avait toujours des réveils de fierté qui l’isolaient et lui faisaient songer avec épouvante à la solitude de son cœur ; ses tendresses nerveuses le condamnaient à vivre à part, dans un désir inassouvi de noblesse sereine et d’amour absolu.

Tout en rêvant à la vie nouvelle qu’ils allaient mener à Paris, Guillaume sentait le corps de Madeleine le pénétrer d’une chaleur croissante. Leurs pieds s’étaient mêlés sous la couverture grise, le contact tiède de la jeune femme entrait beaucoup dans le rêve de tranquillité et de tendresse qu’il se remettait à faire. À son insu, son espoir venait de sa jouissance à la retrouver si voisine de lui. Elle lui tenait chaud. Et le cabriolet roulait toujours dans la nuit glacée, au milieu de la grande paix du froid.

Les voyageurs approchaient de Mantes. Ils n’avaient pas ouvert la bouche depuis Véteuil, perdus chacun dans sa rêverie, regardant au loin les nappes de clarté blanche que la lune étalait sur les pièces de terre labourée. Comme ils passaient devant une maison bâtie au bord de la route, un chien se mit à hurler d’une façon lamentable. Madeleine tressaillit.

— Tu dormais ? demanda Guillaume.

— Oui, répondit-elle en sentant combien ses longs silences rêveurs devaient peser à son mari. Cette bête m’a réveillée… Où sommes nous ?

Il lui montra de la main quelques toits que la lune bleuissait à l’horizon.

— Voici Mantes, dit-il.

Il fouetta le cheval. À ce moment, une femme qui se trouvait cachée derrière une haie, descendit sur la route