Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/202

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mençait à l’effrayer ; peut-être serait-il plus sage de coucher à Mantes, dans une auberge. Quand cette idée se fut présentée à lui, il s’y complut, poussé par son secret désir de posséder Madeleine au fond de quelque retraite ignorée. La nuit dernière, lorsque leurs souvenirs les torturaient dans la petite maison voisine de la Noiraude, il avait souhaité d’habiter une chambre inconnue où ils ne retrouveraient rien du passé. Ce rêve, qu’il venait de faire de nouveau sur la route déserte, lui était facile à réaliser en ce moment. Il n’avait qu’à frapper à la porte du premier hôtel qu’il rencontrerait : il trouverait là la chambre banale, la pièce de hasard où il pourrait tenter l’oubli. L’idée de coucher à Mantes dictée d’abord par la prudence devenait ainsi un de ses souhaits les plus chers.

— Veux-tu que nous nous arrêtions ici ? demanda-t-il à Madeleine. Tu dois être fatiguée. Nous repartirions demain matin.

La jeune femme croyait toujours entendre derrière le cabriolet les pas de la pauvresse. Elle accepta le projet de Guillaume avec une grande vivacité.

— Oui, oui, répondit-elle, couchons ici. Je tombe de sommeil.

Alors Guillaume chercha à s’orienter. Il connaissait, aux portes de Mantes, une vaste auberge où il était certain de trouver de la place. Cette auberge, à l’enseigne du Grand-Cerf, avait eu ses jours de célébrité parmi les rouliers et les commis voyageurs, avant l’établissement du chemin de fer. Elle se composait d’un véritable village, avec ses écuries, ses hangars, les cours, ses trois corps de bâtiment de hauteur inégale. Traversée par des corridors sans fin, coupée par d’innombrables escaliers ralliant au hasard les étages, elle s’emplissait autrefois de la vie d’un monde de voyageurs. Aujourd’hui, elle restait presque toujours vide. Son propriétaire avait bien essayé d’en faire un hôtel accommodé à la façon moderne ; mais il n’était parvenu qu’à rendre l’ameublement de ses chambres et de ses salons profondément ridicule. Il voyait tous