Page:Zola - Madeleine Férat, 1869.djvu/215

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— Pourquoi ne pas fuir ? reprit Guillaume avec insistance. Elle eut de nouveau un léger sourire.

— Parce que nous ne pouvons aller habiter tes châteaux en Espagne, mon cher poëte, répondit-elle. Le bonheur doit être en nous, il est inutile de nous en remettre au hasard pour le trouver. Je vois que tu as tout oublié, je sens que j’oublie à mon tour : il nous reste encore de bonnes heures à vivre ensemble.

Et, comme son mari s’attristait, elle ajouta gaiement :

— À présent, nous serons heureux partout. Je défie le malheur… Je ne sais quel frisson m’avait prise sur la route. Je dormais à moitié, le froid devait m’avoir saisie. Puis, cette auberge m’a produit un étrange sentiment de répugnance… Mais, depuis que nous sommes là, à nous chauffer et à causer, je trouve que tu as raison : on est bien ici, dans ce grand silence qui nous environne. C’est que tes paroles ont calmé mes angoisses… J’espère.

Guillaume se consola vite en l’entendant parler de la sorte.

— Oui, espère, Madeleine, dit-il. Vois comme nous sommes unis l’un à l’autre. Rien ne nous séparera plus.

— Rien, reprit la jeune femme, si nous nous aimons toujours ainsi. Nous pouvons retourner à Véteuil, aller à Paris, nous nous retrouverons en tous lieux avec notre amour… Aime-moi sans cesse comme tu viens de m’aimer, et je guérirai, je te le jure… Je suis à toi, entends-tu, à toi tout entière.

Ils se serrèrent dans une étreinte plus étroite. Pendant quelques minutes, ils échangèrent des baisers muets. Minuit sonna à la pendule.

— Déjà minuit ! s’écria Madeleine. Il faut nous coucher pourtant, si nous voulons nous éveiller de bonne heure.

Elle quitta les genoux de Guillaume, qui se leva en disant :